Il existait à Paris une jeune fille, nommée Héloïse. Elle était nièce d’un chanoine appelé Fulbert, lequel, par tendresse, n’avait rien négligé pour pousser l’éducation de sa pupille. Physiquement, elle n’était pas mal ; par l’étendue du savoir, elle était des plus distinguées. Ces avantages de l’instruction si rares chez les femmes, ajoutaient à ses attraits : aussi était-elle déjà en grand renom dans tout le royaume. La voyant donc parée de toutes les séductions, je pensai à entrer en rapport avec elle, et je m’assurai que rien ne serait plus facile que de réussir. J’avais une telle réputation, une telle grâce de jeunesse et de beauté, que je croyais n’avoir aucun refus à craindre, quelle que fût la femme que j’honorasse de mon amour. Je me persuadai d’ailleurs que la jeune fille se rendrait à mes désirs d’autant plus aisément, qu’elle était instruite et aimait l’instruction ; même séparés, nous pourrions nous rendre présents l’un à l’autre par un échange de lettres : la plume est plus hardie que la bouche ; ainsi se perpétueraient des entretiens délicieux.